Teplitz Stadttheater Histoire
Teplitz-Shönau Stadttheater Histoire du théâtre
1: avant 1914 – 2: le nouveau théâtre – 3: la gestion du théâtre – 4: Höllering – 5: Ettinger – 6: Kennemann – 7: après 1933 – 8: Coopérative – 9: Hurrle – 10: la période nazie – 11: après 1945)
1 Le théâtre de Teplitz avant la première guerre mondiale
Le théâtre s’est pratiqué à Teplitz dès le dix-huitième siècle, et l’activité s’est développée à mesure que s’affirmait la notoriété de la station thermale. La première trace de cette activité remonte à 1751, lorsque la famille Clary-Aldringen, propriétaire du château, y fit représenter des pièces pour sa propre distraction. Dès 1787, cependant, les Clary firent construire un édifice approprié, un Schloβtheater de 285 places, ouvert au public teplitzois et aux curistes. L’activité du Schloβtheater se poursuivit au dix-neuvième siècle, complété en été par des représentations en plein air à Turn. Mais le rapide essor de la ville à partir de 1860 imposa de nouveaux choix.
La municipalité, sous la conduite du maire Karl Uherr, décida en 1871 de doter Teplitz d’un théâtre à sa mesure. Le lieu fut choisi, au nord du Kur Garten, et les travaux débutèrent en septembre 1872 selon les plans des architectes Turba et Zitek de Prague et Bernhard Schreiber de Dresde.
La salle avait une capacité de 800 places et la fosse d’orchestre pouvait accueillir 40 musiciens. Il y avait un foyer, un café, un buffet, et une promenade couverte, la « Kolonade« , reliait le théâtre à la Trinkhalle des curistes dans le parc. Ce Stadttheater ouvrit au public en mai 1874. Le premier directeur nommé par la ville fut Hermann Podolski. Avant guerre, la direction était assurée par Walter Borchert et Julius Haller. Les teplitzois ne purent en profiter que quelques décennies ; sa fin suivit de peu celle de l’empire austro-hongrois. L’édifice, en effet, fut complètement détruit par un grand incendie, provoqué involontairement par un simple d’esprit, le 31 août 1919.
2 Le Nouveau Théâtre municipal
La nouvelle municipalité installée dans le cadre de la toute jeune république tchécoslovaque était dirigée par le Docteur Ernst Walther. Il fit de la reconstruction du théâtre une priorité. Dès 1921, les décisions essentielles étaient prises : on reconstruirait le théâtre au même endroit mais on ne reprendrait rien de l’ancien bâtiment. Tous les projets liés à une reprise partielle du Altes Stadttheater furent écartés et, sous l’impulsion du maire Walther, il fut décidé d’un édifice hardi, entièrement nouveau, destiné à rayonner sur toute cette partie des Sudètes.
En l’absence de financement d’état, les fonds nécessaires furent recueillis par une souscription municipale, augmentée de nombreux dons. La conception fut confiée à une équipe d’architectes de Dresde : Rudolf Bitzan et, pour la scène, Adolf Linnebach. Les travaux débutèrent en 1922 sous la direction de l’ingénieur municipal Hans Kellner, Josef Lukas étant maître d’œuvre. Le style architectural, très original, est une sorte d’intermédiaire entre Jugendstil et Modernstil. On a vu grand : le Neues Stadttheater reste encore aujourd’hui le plus vaste théâtre de la République en dehors de Prague. L’édifice comptait 185 pièces réparties sur 7 niveaux, avec une grande salle de 1135 places, pour l’opéra, l’opérette et parfois le théâtre (avec alors 1300 places) pour les grandes occasions. Dans cette salle principale les dimensions de la scène (20m de large, 13m de haut et 18m de profondeur) permettaient les mouvements d’ensemble. Une seconde salle de 580 places (plus tard 470) était plus spécialement destinée au théâtre (Kammerspiel) et aux concerts symphoniques, mais la scène y était plus étroite et moins bien équipée. Les foyers étaient de toute beauté et les installations techniques de haut niveau pour l’époque. Il y avait aussi un Lichtspiel, cinéma d’abord muet, avec entrée indépendante sur la Königstraβe, et des salles de café et restaurant sur deux niveaux, avec deux terrasses. Outre la grande salle du café, il y avait une vaste salle de jeu (« casino ») où on jouait surtout aux cartes, aux dés, mais aussi au jacquet, aux échecs ou aux dames, etc…, un café non-fumeurs, un restaurant, une taverne (Weinstube), un salon de thé-pâtisserie. Il faut d’ailleurs noter d’emblée que tout ce secteur café-restauration a toujours connu une forte activité jusqu’à la fin des années trente et n’a pas rencontré les difficultés financières des activités de spectacle.
Le cinéma ouvrit au public dès septembre 1923. Puis, pour le jour de l’an 1924, le maire Walther put procéder à l’inauguration en grande pompe du café et de la petite salle. Enfin, la grande salle ouvrit au public le 20 août 1924 pour une représentation des « Maîtres Chanteurs » de Richard Wagner. Le premier directeur du Théâtre, nommé en 1923, fut Franz Höllering, qui assura les saisons complètes 1924-25 et 1925-26. Karl Ettinger lui succéda de 1926 à 1929, puis Fritz Kennemann (déjà directeur adjoint en 1928-29) de 1929 à 1933. Gerhard Scherler, ensuite, ne resta directeur que de septembre à décembre 1933, après quoi une coopérative autogéra le théâtre jusqu’à la fin de la saison 1933-34. En 1934-1935 la direction échut provisoirement à Carl et Alexander Richter, avant d’être concédée en 1935 à Curth Hurrle qui y resta jusqu’à l’occupation des Sudètes par les nazis et encore ensuite jusqu’en mai 1940.
3 Le mode de gestion du théâtre
S’agissant d’un théâtre municipal, la ville se réservait de l’utiliser dans certaines circonstances exceptionnelles (congrès, réunions publiques…). Elle entendait aussi garantir la fréquence et la diversité des représentations dans les trois catégories de spectacle (opéra, opérette et théâtre), ainsi que des spectacles pour la minorité tchèque de la ville et des spectacles « populaires » (à petits prix). Aussi les contrats de concession du théâtre entre la ville et les directeurs successifs jusqu’en 1938 comportaient-ils tous des clauses contraignantes sur ces points. Le directeur devait « prendre soin au même titre des trois catégories de spectacles », son contrat pouvait être résilié s’il ne respectait pas ses « obligations à la direction du théâtre », non respect ainsi précisé : « que pendant une période d’une semaine aucune représentation théâtrale n’y soit donnée ou bien que sur une période d’un mois il ne soit même pas donné 10 représentations ». Le contrat avec Fritz Kennemann en 1929 est un bon exemple. Celui de Karl Ettinger (également retrouvé) était très semblable. Seul celui de Curth Hurrle, en 1935, introduisit quelques changements mineurs (par exemple l’autorisation de « représentations fermées », c’est-à-dire des spectacles pour lesquels un organisme quelconque, association ou parti, retient toute la salle, ce qui était autorisé sous la direction Höllering mais interdit depuis 1926).
Dès l’origine, le Neues Stadttheater jouait 10 mois par an. Une saison d’hiver, principale, durait d’octobre à avril, avec un riche répertoire dans les trois genres de spectacles. Puis une saison d’été, d’avril à juillet inclus, avec des spectacles généralement plus légers et une moindre implication des musiciens qui étaient alors pris aussi par les concerts donnés aux curistes. En tout cas, on ne jouait des opéras et des opérettes que jusqu’à fin juin, l’orchestre municipal, le Kur Orchester, que la ville mettait à disposition du théâtre, étant en vacances dès juillet. En août et septembre le théâtre faisait relâche. En saison, le théâtre n’était fermé que le vendredi saint d’avant Pâques et le 24 décembre, veille de Noël.
Hormis la mise à disposition de l’orchestre (de 38 à 50 musiciens selon les périodes), la municipalité contribuait aussi au fonctionnement du théâtre par des subventions, limitées à des sommes forfaitaires annuelles, par exemple pour les costumes ou pour la consommation de courant électrique. Pour l’essentiel, le théâtre devait équilibrer son budget, ce qui exigeait un taux de fréquentation élevé. En outre, chaque directeur devait au départ apporter de considérables fonds propres en garantie de sa gestion (au moins 100 000 couronnes), fonds qu’il perdait en cas de faillite (ce qui arriva souvent).
4 La période Höllering (1924-1926)
La direction de Franz Höllering fut marquée, à l’opéra, par la direction de Nikolaus Janowsky et de Hans Mohn et au théâtre par l’invitation de quelques acteurs prestigieux (Alexander Moissi, Max Pallengerg) ou de l’ensemble du Burgtheater de Vienne, tandis que se construisait progressivement la troupe du théâtre autour des metteurs en scène Hans Schlesinger et Hans Götz pour les pièces, Alexander Sunko pour les opérettes, Julius Martin pour les opéras.
Le premier anniversaire de l’ouverture, en 1925, donna lieu à une mémorable représentation du « Jedermann » de Hugo Von Hoffmannsthal. L’engouement des Teplitzois pour leur nouveau théâtre fut tel que Franz Höllering acheva sa première année sans déficit (ce qui ne se reproduisit plus). Par la suite, il mena une programmation ambitieuse avec des créations pour la Tchécoslovaquie, tant dans le domaine du théâtre (Nebeneinander de G.Kaiser, Die Flamme von Arzia de W.Bausel, Lelian de H.Schlesinger) que dans celui de l’opéra (Irrelohre de Schreker ou Holofernes de Rezniczek). Les relations de Franz Höllering avec la municipalité de Teplitz, et particulièrement avec l’adjoint aux finances Julius Hirsch, se détériorèrent pourtant assez vite. Non seulement le déficit de gestion du théâtre se creusait, mais de surcroit certains, à la municipalité, trouvaient Höllering trop à gauche sur le plan politique. A cet égard, Karl Kraus relate dans son journal « Die Fackel » d’août 1924 un épisode révélateur. A la demande du parti social démocrate de Teplitz-Schönau, Höllering avait accepté de recevoir dans son théâtre une représentation fermée (réservée au parti) de la pièce de K.Kraus « Die letzte Nacht« . Mais les édiles de Teplitz trouvèrent que la pièce et l’auteur étaient par trop polémiques et voulurent un autre choix. La presse de Teplitz ayant eu vent de l’affaire en fit grand cas, le journal « Freiheit » dénonça la censure et le maire Walther fit marche arrière et donna son aval, si bien que la pièce fut bien donnée au Neues Stadtheater (hors programme, la salle étant réservée par le parti social-démocrate) le dimanche 27 juillet 1924, avec la participation bénévole de nombreux acteurs du théâtre. L’épisode, bien entendu, laissa des traces. Devant l’aggravation des difficultés financières, Nikolaus Janowsky, qui s’occupait de l’opéra, démissionna le premier en 1926 estimant qu’il n’avait plus les moyens de tenir des productions de qualité. Six mois plus tard, Franz Höllering dut jeter l’éponge à son tour.
5 La direction Ettinger (1926-1929)
Karl Ettinger, arrivé à la direction en septembre 1926, s’attacha à compléter la composition de la troupe pour aboutir à un effectif permanent de près de 60 artistes. Au total, avec les personnels administratifs, techniques et ouvriers et les musiciens de l’orchestre, le théâtre mobilisait plus de 150 personnes. Dans le bilan que Karl Ettinger adressa, conformément à son contrat, à la municipalité au terme de la saison 1926-27, il faisait état de 167 jours de représentation, avec 76 spectacles différents dont 16 opéras, 21 opérettes et 39 pièces de théâtre (dont le « Faust » de Goethe, donné intégralement en 5 heures et 20 tableaux).
La troupe de Karl Ettinger, lorsque Fritz Kennemann et Liselotte Reger la rejoignirent en 1928, comptait des éléments de valeur. Les mises en scène étaient assurées principalement par Hans Schlesinger (pour le théâtre) et Dolf Kaliger (pour l’opérette) qui avait déjà une longue carrière derrière lui. Hermann König, Olga Barco, Karl Pistorius, Hans Reisenleitner, Elsa Kment étaient les principaux chanteurs. La troupe de théâtre avait pour piliers Victor Gschmeidler, Hermann Gruber, Elsa Pally, Karl Ranninger, bientôt rejoints par Walter Taub, Benno Smytt et Grete Jorysch. La période Ettinger connut elle aussi plusieurs créations pour la Tchécoslovaquie, notamment Ollapotrida (Lernet-Holenia), Die Bewährungsfrist (Heller), Der Hexer (E.Wallace) puis sous l’impulsion de Kennemann: Schinderhannes (Zuckmayer), Oktobertag (Kaiser), Karl und Anna (L.Frank), Olympia (Molnar), Die Verbrecher (Bruckner). A l’opérette, qui était le domaine de prédilection de Karl Ettinger, fut créée Der unsterblische Franz (Bittner).
En 1928, Karl Ettinger entamait la dernière année de son contrat de trois ans et n’envisageait pas de continuer au-delà à la direction du théâtre. La fréquentation, qui n’était plus celle des débuts, ne lui permettait pas d’équilibrer le budget (il laissera d’ailleurs finalement au théâtre une part de sa fortune personnelle) et il aspirait à se consacrer aux affaires dans la sphère privée. Soucieux de préparer sa succession, Karl Ettinger pris contact avec Fritz Kennemann qui, depuis longtemps à la recherche d’une direction de théâtre, s’était manifesté auprès de lui l’année précédente. Fritz Kennemann avait trouvé entre-temps un poste de Oberspielleiter à Hildesheim ;
il accepta de rejoindre Ettinger comme directeur-adjoint et principal metteur en scène, avec la promesse d’une accession à la direction l’année suivante. Il obtint l’engagement à ses côtés de Liselott Reger. Kennemann se montra particulièrement entreprenant et actif lors de la saison 1928-29, avec des prestations remarquées à la fois comme acteur (en Schinderhannes ou en Karl) et comme metteur en scène (pour « Marie Stuart », « Die Verbrecher » ou « Katharina Knie »), si bien que la municipalité ne vit que des avantages à lui concéder le classique contrat de trois ans lorsque, au terme de la saison, Karl Ettinger confirma son retrait.
6 La direction Kennemann (1929-1933)
Le contrat de Fritz Kennemann, largement semblable à celui de son prédécesseur, comportait cependant une clause conservatoire concernant une éventuelle fusion de la gestion du théâtre municipal de Teplitz-Schönau avec celui de la ville voisine d’Aussig (Usti Nad Lebem). Cette perspective de fusion avait pris corps suite aux difficultés financières de la fin du mandat Ettinger. Elle fut abandonnée définitivement dès l’année suivante.
La première année de la direction Kennemann (1929-30), fut marquée par une grande stabilité de la troupe, tant à l’opérette (où la seule arrivée notable fut celle d’Otto Aurich) qu’au théâtre où Benno Smytt, Walter Taub, Hermann Gruber, Grete Jorysch et
Karl Ranninger continuèrent à jouer les premiers rôles aux côtés de Fritz Kennemann et de Liselott Reger. Il y eut toutefois quatre embauches nouvelles : celle de Maria Frene, que Fritz Kennemann connaissait bien pour avoir joué maintes fois en sa compagnie, notamment à Königsberg, celles de Else Panto et de Gertrud Scott, qui allaient tenir de multiples second rôles au cours des trois années suivantes et celle enfin de Wilhelm Althaus qui était un comédien de plus grande envergure. A noter aussi que des mises en scènes furent confiées, pour la première fois, à Viktor Gschmeidler. Sur le plan du répertoire, la première saison de la direction Kennemann fut marqué par des évènements tels que la représentation de « Wallenstein » de Schiller, ou de « l’Opéra de quat’sous » de Brecht et Weil. La lettre de bilan (cliquer pour l’afficher) adressée à la municipalité en juillet 1930 témoigne de l’intensification des activités du théâtre :
Ce bilan éloquent, où l’on mesure le succès de « l’ Opéra de quat’sous » (17 représentations), rend compte de la variété et de la richesse du répertoire, dans une ville qui n’avait somme toute que trente mille habitants. Il y eut au total 546 représentations dans l’enceinte du théâtre ! Parmi les invités pour le théâtre, le grand Albert Bassermann ; parmi ceux pour l’opéra, on peut noter la venue du ténor wagnérien Max Lorenz (alors premier ténor de l’opéra de Dresde, plus tard pilier de Bayreuth) et de Marcel Wittrich qui parut aussi à Bayreuth mais fut surtout un grand interprète du Tamino de la « Flûte enchantée ».
L’été 1930 fut un tournant dans la vie de la troupe. A l’opéra, l’effectif resta relativement stable, quoique l’on puisse noter l’arrivée de quatre protagonistes importants des années à venir : Theodor Wünschmann comme chef d’orchestre et les chanteurs Otto Macha, Erwin Saldern et Minna Krasa-Jank. Mais, au théâtre, les départs de Benno Smytt et de Walter Taub, embauchés au Neues Deutsches Theater de Prague, et le retrait de Grete Jorisch et d’Hermann Gruber entraînèrent de nouvelles embauches :
Werner Hammer (acteur et metteur en scène), et Christa Christl notamment. Au total, à partir de la saison 1930-31, la majorité de la troupe de théâtre était composée d’acteurs embauchés par Fritz Kennemann et ce caractère fut encore renforcé la saison suivante par l’engagement de Viktor Saxl (acteur et metteur en scène qui devint aussi le dramaturge du théâtre), Josef Wichart, Franz Andermann, Bernhard Wilfert, tandis que Ilse Kennemann faisait ses débuts dans la troupe.
Le bilan de la saison 1930-31 reste impressionnant (même s’il est nettement en retrait de celui de la saison précédente) : 407 représentations de 95 spectacles différents, dont 49 pièces de théâtre, 25 opérettes et 21 opéras. Au théâtre, il y eut 2 créations, 36 pièces nouvelles et 11 reprises des saisons précédentes ; on représenta 15 nouvelles opérettes et on en reprit 10 autres ; enfin 9 nouveaux opéras furent montés et 12 autres repris. En outre, il y eut 7 « Morgenfeier » (matinées à tarifs très bas), 15 concerts et 16 représentations de spectacles invités. Toutefois, ce bilan ne saurait masquer les premières difficultés. Tandis que la crise économique commençait à sévir dans les Sudètes, la fréquentation déclinait et il fut décidé dès juin 31 que la saison d’été 1932 (de mai à juillet) serait gérée en coopérative aux risques ou bénéfices des personnels (accord entre Fritz Kennemann et Karl Ranninger, représentant des personnels, le 20 juin 1931). La rentrée d’octobre 1931 fut marquée par une chute vertigineuse des abonnements. La situation devint si alarmante que la direction et la troupe du théâtre lancèrent une série d’appels publics dans la presse locale pour « sauver le théâtre ». Outre le texte de Fritz Kennemann, un appel des personnels fut publié dans le Teplitz-Schönauer Anzeiger du 28 octobre sous le titre « Aufruf des Personales des Stadttheaters » :
Appel du personnel du théâtre municipal
L’ensemble du personnel du Stadttheater, dans l’urgence de la situation critique qui menace l’existence du théâtre allemand dans notre ville, se tourne vers la population de Teplitz-Schönau et de ses environs pour attirer son attention sur la signification et la nécessité de notre scène pour la vie publique.
Le théâtre ne sert pas seulement à la distraction et à la détente, pas seulement à l’éducation et à la culture, il est aussi un facteur non négligeable de notre vie économique. Que la présence d’un théâtre soit vitale pour une ville qui veut développer un pouvoir d’attraction comme station thermale et culturelle ne fait aucun doute. Incontestablement, la vie économique tire aussi du théâtre de précieux avantages.
Le fondement du maintien de notre théâtre est, depuis des années, une solide fréquentation, un grand nombre d’abonnements, qui doivent accompagner le théâtre à travers vents et marées. Seul le grand esprit de sacrifice de la direction et du personnel rend possible l’ouverture cette saison, avec tous les types de spectacle (théâtre, opéra et opérette) et permet de proposer des tarifs d’abonnement si bas qu’aucun autre théâtre allemand de même rang ne peut en offrir.
Malgré cela, le nombre d’abonnements est resté cette année tellement en retrait par rapport à l’année dernière, que cela ne peut vraiment pas s’expliquer par la situation économique générale et il est impossible que ce puisse l’être par les réalisations de notre scène. Cette situation est avant tout une lourde menace pour notre théâtre. Ce n’est pas seulement l’existence, du point de vu financier, de plus de 150 employés au théâtre qui est en danger ; notre appel vise surtout à sauver un lieu de culture.
C’est donc alors que l’heure est grave que nous vous crions : Sauvez votre théâtre ! Fréquentez le souvent et abonnez-vous !
Le personnel du Stadttheater.
Cette campagne volontariste obtint quelques résultats. La situation se redressa quelque peu en 1931-32, Liselott Reger contribua à boucher quelques trous financiers et la coopérative mise en place pour mai-juillet ne se tira pas trop mal de l’arrière saison, quoiqu’en laissant quelques impayés. Fritz Kennemann, parvenu à la fin de son mandat de trois ans, hésita sur la conduite à tenir. Il pouvait rentrer en Allemagne où son renom lui offrait quelques perspectives, au risque de perturber quelque peu sa vie familiale. Il pouvait accepter la proposition du maire Ernst Walther pour prolonger son contrat. De forts liens affectifs le liaient à présent à une partie de sa troupe du Kammerspiel. Il semble que les appréhensions de Liselott Reger quant au développement de la situation politique en Allemagne aient aussi pesé dans sa décision. Toujours est-il qu’il décida finalement de rester à Teplitz.
La dernière saison de la direction Kennemann, en 1932-33, fut dans la continuité des années précédentes. Le répertoire conserva le même équilibre entre pièces classiques, pièces contemporaines « sérieuses » et comédies légères.
L’avant programme de la saison 1932-33, publié en septembre 1932, prévoit pour l’opéra 6 nouveautés (dont « Manon Lescaud » de Puccini et « L’Italienne à Alger » de Rossini mais aussi « Das Herz » de Pfitzner ou « Spuk im Schloβ » de Kricka) et 13 reprises (dont « Le vaisseau fantôme », « La Walkyrie » et « Rienzi » de Wagner, « Cosi fan tutte » de Mozart, « le Chevalier à la Rose » de Richard Stauss, « Othello », « Rigoletto » et « Aïda » de Verdi, « la Juive » de Halevy, « la Fiancée vendue » de Smetana…). Pour l’opérette, 13 nouveautés sont annoncées (dont « Eine Frau, die weiss, was sie will », d’Oscar Strauss) et 7 reprises sont prévues (dont « La Chauve-Souris » et « la Veuve joyeuse »). Enfin, au répertoire du théâtre, on trouve 24 nouveautés (dont « Jeunes filles en uniforme ») et 17 reprises (des pièces de Schiller, Grillparzer, Hebbel, Shakespeare, Kleist, Hauptmann, Bahr, Schnitzler, Werfel, Ibsen, Shaw, Wedekind…)
La troupe permanente, quoique quelque peu resserrée, resta d’une grande stabilité. Au théâtre, il n’y eu guère comme changement que le départ de Wilhelm Althaus pour Berlin, tandis que les acteurs Franz Andermann et Liselott Reger réalisèrent leurs premières mises en scène. A l’opéra, la nouveauté la plus notable fut l’arrivée du chef d’orchestre Leopold Ludwig (qui fit deux années à Teplitz-Schönau et par la suite une grande carrière à l’Opéra de Vienne puis à Hambourg).
7 Après la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne : Gerhard Scherler (1933-1934)
Les tensions provoquées par l’arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne en janvier 1933 ne se firent sentir que progressivement à Teplitz-Schönau. Par contre, les répercussions sur les citoyens Allemands qui se trouvaient alors en poste de responsabilité à l’étranger furent rapides. Comme directeur, metteur en scène et acteur allemand, Fritz Kennemann appartenait à un syndicat d’acteurs et à une fédération des théâtres qui se trouvèrent très rapidement sous la coupe nazie. Dès lors, il était clair que tout avenir en Allemagne aurait supposé une certaine docilité, au moins, vis à vis des exigences de ces organismes en matière de répertoire « national » et « aryen » et, très vite, aussi pour une composition « aryenne » des troupes.
Mais les bonnes relations de Fritz Kennemann avec la municipalité de Teplitz, son caractère personnel peu enclin à se laisser dicter sa conduite, son aversion pour l’antisémitisme et sa réaction d’écoeurement lors des autodafés du 10 mai 1933 en Allemagne (où furent brûlés les ouvrages de maints de ses auteurs de prédilection), comme aussi certainement les sentiments farouchement anti-nazis de Liselott Reger furent autant de facteurs qui détournèrent Fritz Kennemann de toute velléité de collaboration avec les autorités du Reich (représentées dans les Sudètes par les consulats allemands de Reichenberg et de Eger).
La situation financière du théâtre se dégrada de nouveau au printemps 1933. Baisse de la fréquentation, aggravation de la crise économique et finalement défection de la caissière, Hilde Hamm, qui partit en Allemagne non sans avoir, selon Liselott Reger, vidé la caisse, amenèrent finalement Fritz Kennemann à jeter l’éponge, non sans avoir comblé le déficit de ses propres deniers (certainement aussi ceux de sa compagne Liselott), perdant dans l’affaire une somme vertigineuse d’environ 500 000 couronnes.
Dès lors, en cet été 1933, Fritz Kennemann se trouva à la croisée des chemins. Les perspectives en Allemagne, entrevues l’année précédente (on avait pensé à lui pour la direction du principal théâtre de Hambourg), étaient à présent fermées, sauf à accepter toutes sortes de compromissions. Rester en République Tchécoslovaque sans emploi, c’était afficher avec Berlin une rupture définitive et se condamner à rechercher hors d’Allemagne des rôles comme acteur invité pour tâcher de joindre les deux bouts. Ce fut pourtant son choix. Il se retira à Eichwald et rechercha des invitations pour la saison suivante.
A la fin de l’été, le maire fit paraître un communiqué de presse :
« Le maire Dr. WALTHER a adressé au Directeur Fritz KENNEMANN à Eichwald la lettre que voici : A l’occasion de la prochaine ouverture de la nouvelle saison théâtrale, je tiens à vous exprimer au nom de la ville de Teplitz-Schönau mes chaleureux remerciements pour votre activité de ces 4 dernières années. Je regrette infiniment que les circonstances vous aient dissuadé de vous porter à nouveau candidat pour la direction du théâtre. Cela a retiré à la ville la possibilité de remettre cette direction entre vos mains jusqu’ici si qualifiées. »
La municipalité se trouva donc devant la nécessité de chercher un nouveau directeur. Mais le consulat du Reich s’activait aussi pour sa part. C’est ainsi que fut pressenti Gerhard Scherler. Dans son livre de souvenirs « 5000 nuits à l’Opéra » publié en 1972, Rudolf Bing apporte sur les circonstances de l’arrivée de Scherler et sur les mois qui suivirent à Teplitz-Schönau un témoignage précieux (cliquer pour l’afficher), qui ne livre bien sûr que le point de vu rétrospectif – et donc sans doute un peu édulcoré – de son auteur, mais dont il ressort toutefois clairement que les nazis, dès l’été 1933, entendaient intervenir sur la vie des théâtres dans les Sudètes.
Ce sont eux, plus précisément ceux du département « Theaterwesen im Ausland » du ministère de l’Education populaire et de la Propagande, dirigé par Goebbels, qui ont pressenti Gerhard Scherler pour venir à Teplitz-Schönau et lui ont fourni des fonds importants : 30 000 Marks, soit plus de 250 000 couronnes (somme qu’ils n’avaient pas proposée à Kennemann, à moins que celui-ci ne l’ait refusée). Mais, dans l’ambiance « juive et social-démocrate » de Teplitz, Scherler ne put par la suite donner suffisamment satisfaction aux représentants du Reich pour qu’ils couvrent son déficit. Début décembre, l’ambassade d’Allemagne à Prague fit savoir à Berlin qu’il faudrait 50 000 marks supplémentaires à Scherler pour finir la saison. La réponse fut négative. Il faut d’ailleurs noter qu’en dehors de Paul Lewitt, certains des autres « juifs et socio-démocrates » engagés au Kammerspiel étaient ceux de la troupe précédente que Scherler garda (Viktor Saxl entre autres) ; Scherler, Bing et Oppenheim renouvelèrent surtout les effectifs de la troupe d’opéra.
Dans un rapport de novembre 1933 que Hansjörg Schneider [1] a retrouvé récemment dans les archives, adressé par Gerhard Scherler à la Deutsche Kunstgesellschaft (Société allemande pour l’Art, institution nazie pour les relations artistiques entre l’Allemagne et l’étranger), celui-ci soutenait pourtant l’importance de son action au service du Reich, en concluant : « Dans la mesure où il est possible d’influencer les intérêts allemands en Tchécoslovaquie, cela ne peut se faire que par l’intermédiaire des institutions culturelles allemandes (…) et notamment les théâtres. »
8 De la gestion en coopérative à l’éphémère direction Richter (1934-1935)
Après la faillite de Scherler, qui partit pour Berlin, Bing et Oppenheim partirent également (et n’allaient pas tarder à émigrer en Angleterre).
Paul Lewitt, lui, resta. La troupe présenta un projet de mise en coopérative, discuté avant même le départ de Scherler. La municipalité, après débat au conseil municipal, donna son accord mais voulut redonner, dans ce cadre, la direction à Kennemann. Cette proposition fut contestée de plusieurs côtés et finalement Kennemann lui-même « a préféré une activité comme metteur en scène invité à une nomination comme chef de la coopérative », comme l’écrivit le Teplitz-Schönauer Anzeiger du 13 janvier 1934. En fait, lui-même, Liselott Reger et Ilse Kennemann rejoignirent la troupe, qui géra le théâtre en coopérative jusqu’à la fin de la saison. Au Kammerspiel, où les Kennemann firent leur retour tout en acceptant des invitations à Brüx, Eger, Karlsbad ou Friedland/B., se côtoyaient toujours Viktor Gschmeidler, Karl Ranninger, Christa Christl, Viktor Saxl, Josef Wichart et, outre Paul Lewitt, deux autres nouveaux venus, Alfred Kühne et Franz Stoss (futur successeur de Hurrle à l’époque nazie). A l’opéra, décapité, on fit appel au chef Emil Emanuel tandis que Dolf Kaliger revint à la régie. Dans ses « souvenirs », Paul Lewitt, Oberspielleiter au théâtre, écrit : « les conditions de travail étaient invraisemblables. La préparation d’une pièce : lundi lecture; mardi, mercredi, jeudi répétitions; vendredi générale et samedi soir première. Toutefois j’ai allongé la durée de répétition habituelle de 2h30 (de 10h à 12h30) à 4h30 (9h30-14h) et des débats sur la pièce et la mise en scène se poursuivaient l’après-midi au Theater-Café. En juin 1934, la coopérative, qui termina la saison tant bien que mal, publia un bilan des 10 ans du Neues Stadttheater : sur ces dix années, il y avait eu 3119 représentations dont 455 premières et 148 spectacles invités…
La saison 1934-35 vit au théâtre de Teplitz-Schönau un bouleversement complet. Echaudée par l’ampleur des pertes, la municipalité, où Josef Russy avait remplacé Ernst Walther, cherchait une solution qui permette de maintenir l’activité du théâtre sur un mode moins déficitaire, tout en évitant les polémiques et les solutions type coopérative, qui effarouchaient une part de la population.
C’est dans cette perspective de rentabilité qu’on fit appel à Carl et Alexander Richter, jusque là directeurs d’un théâtre privé à Hambourg. Mais de tels choix, délaissant en grande partie le théâtre contemporain au profit des classiques, de la comédie et de l’opérette, entraînèrent le départ de Fritz Kennemann, de Liselott Reger et de la plus grande partie de l’équipe qu’ils avaient constituée et qui formait l’ossature de la coopérative de l’année précédente. Gschmeidler, Christl, Wichart, Stoss partirent vers divers horizons. Paul Lewitt également. Ilse Kennemann chercha des engagements ponctuels y compris en Allemagne où d’anciennes connaissances de son père pouvaient encore lui faciliter les choses pour gagner sa vie. Seuls de l’ancienne équipe, Karl Ranninger, Joseph Wichart et Viktor Saxl restèrent au théâtre, rejoints notamment par un premier et fort contingent d’exilés allemands fuyant le Reich nazi: Max Berg, Mario Gang, Hans Hofer, Trude Bechmann, Maria Gade, Marga Zöllner et Beda Saxl. Les effectifs furent ramenés à un nombre total de 37 artistes, dont plusieurs appelés à pratiquer tous les genres. Ce rythme frénétique imposé à une troupe réduite donna des résultats artistiques critiqués malgré le haut niveau des nouveaux venus. Surtout, le choix d’une réorientation du répertoire vers plus de classiques ne fut pas du goût du public teplitzois. La réalisation la plus marquante de l’ère Richter fut une « Carmen » de Bizet en mars 1935. Au théâtre, on reprit Beaucoup de bruit pour rien et Mesure pour mesure de Shakespeare, Kabale und Liebe de Schiller, Egmont de Goethe, Minna von Barnhelm de Lessing et on donna peu de nouveautés et un grand nombre de comédies légères. Cette expérience fut en fin de compte un échec patent. Jamais le renom du théâtre n’avait tant souffert, sans pour autant supprimer tout déficit. Lorsque les Richter se retirèrent à la fin d’une seule saison, le Stadttheater était au plus mal. C’est dans ces circonstances que la municipalité concéda la direction du théâtre, pour laquelle on ne se bousculait pas, à Curth Hurrle, jusque là directeur du petit théâtre de la ville voisine de Brüx.
9 La première période Hurrle (1935-1938)
Curth Hurrle battit à Teplitz les records de longévité. Arrivé en septembre 1935 il resta directeur jusqu’en mai 1940, c’est-à-dire longtemps après l’annexion des Sudètes à l’Allemagne. Il apparaît, à travers les divers témoignages à son sujet, comme un homme de peu d’envergure, ambitieux mais sans véritable culture artistique, souvent indécis mais néanmoins manœuvrier, en un mot opportuniste. De commerce agréable, « bien avec tout le monde » et notamment avec sa troupe, qui ne savait rien de la nature de ses contacts avec le consulat de Reichenberg, Curth Hurrle n’avait rien d’un nazi (il aida des juifs en diverses circonstances). Sa compagne, jusqu’en 1938, était juive. Son itinéraire est à bien des égards significatif de celui de beaucoup de gens, dans les Sudètes et ailleurs, au cours de cette période cruciale.
Lorsque Curth Hurrle, qui était depuis deux ans dans les Sudètes mais avait la nationalité allemande, fut pressenti pour prendre la direction du Stadttheater, il sollicita Fritz Kennemann, qu’il savait disponible et qu’il connaissait par les nombreuses invitations de spectacles teplitzois à Brüx, pour l’aider dans la direction du Kammerspiel. Sans autre perspective professionnelle, après une année difficile, Kennemann accepta volontiers de revenir au théâtre. Hurrle s’entoura de ses conseils pour reconstituer une troupe de théâtre. Karl Ranninger, Viktor Saxl et Alfred Kühne furent tout de suite réengagés. Leonie Dielmann, que Kennemann avait connue en Allemagne, rejoignit Teplitz. L’acteur Otto Marx, banni d’Allemagne en tant que juif, fut aussi engagé. Issu d’une famille de banquiers de Munich, il aida financièrement à la remise sur pied du théâtre. La troupe accueillit aussi Karl Schwetter, de Vienne, Vera Mandic, venue de Prague, Ernst Wagner et Kurt Münzer, respectivement chassés de Düsseldorf et de Cologne, Louis Victor et Hans Ritter, de Brünn (Brno), Anni Lehmann, d’abord cantatrice, originaire de Mayence et venant d’Innsbrück… Pour l’opérette, la direction musicale fut confiée à Herbert Weiskopf, lui aussi réfugié, épaulé par Otto Fröhlich, tandis que plusieurs chanteurs de l’ère Richter furent réemployés, ainsi que certains anciens comme Kurt Walldorf ou Viktor Justian. Le répertoire revint naturellement aux équilibres traditionnels, mais les opéras étaient désormais donnés à Teplitz par la troupe d’Aussig. Au théâtre, on joua 32 pièces, dont Hamlet et Liliom, du Sudermann et du Molnar, du Bernstein, du Frantisek Langer et du Hermann Bahr ainsi que des comédies légères de Lichtenberg ou de Bus-Fekete. Comme opérettes, on donna Orphée aux enfers d’Offenbach, du Johann Strauss, du Lehar, au total 24 œuvres de tous les horizons. A l’opéra on programma Rigoletto et Le Trouvère de Verdi, Elektra de Richard Strauss, Cosi fan Tutte de Mozart, Le vaisseau fantôme de Wagner, Manon Lescaut de Puccini, le Faust de Gounod et Der Waffenschmied de Lortzing. Au total 65 œuvres différentes : on était loin des records de la « bonne époque » mais le répertoire n’était nullement indigne en ces temps difficiles.
Après la poussée électorale du parti de Konrad Heinlein en mai 1935, les pressions ne vinrent plus seulement du Reich mais aussi, de plus en plus, du SdP et de son « chargé culturel » Franz Höller. Celui-ci réclamait un Kulturtheater, c’est-à-dire « un théâtre vivant où l’homme à l’esprit national ne s’ennuie pas ou ne soit pas dégoûté » (Die Zeit du 25 décembre 1935). Il prétendait aussi lutter contre la «Überfremdung », l’influence étrangère trop importante, qui pour lui se résumait à la « Verjüdung », à l’influence juive qu’à l’image des nazis du Reich, il entendait traquer partout dans un pays où « la majorité des théâtres » étaient « dirigés par des juifs ».
Cependant, à Teplitz, le SdP n’avait pas vraiment les moyens de sa politique. Dans l’un des rapports discrètement adressés par Curth Hurrle au consulat de Reichenberg, où il explique, en septembre 1936, qu’il est difficile à Teplitz-Schönau de se passer, au théâtre, de la clientèle juive, on peut lire également que « on a l’impression que le SdP et le Bund der Deutschen sont incapables d’accorder un soutien suffisant au théâtre local. La première des trois représentations fermées organisées par le SdP à l’occasion du congrès local du parti fut celle du « Vaisseau fantôme ». Nombre de spectateurs : 120 pour une salle [la grande salle du Stadtheater] pouvant accueillir plus de 1100 personnes … »
Pour la saison 1936-1937, la seconde de Hurrle à Teplitz, la troupe accueillit un nouveau contingent d’acteurs juifs réfugiés, certains de grand talent : Jack Mylong-Münz, Paul Walter-Jacob (également régisseur d’opéra), Grete Baeck. Furent également engagés en septembre 1936 : Rudi Wiechel, Christl Raentz, Rolf Schneider…
L’opérette reçue de son côté le renfort des réfugiés Walter Janowitz et Hilde Raave. Conscient du nombre de juifs dans sa troupe et sans doute désireux de prendre les devants vis-à-vis d’un consulat allemand dont il attendait vraisemblablement aussi quelques subsides, Hurrle adressa le 1er septembre une liste du personnel du théâtre pour la saison 1936-37 à Reichenberg. Cette liste a été retrouvée par Hansjörg Schneider dans les archives à Berlin. Le consulat de Reichenberg l’avait transmise au ministère avec une étoile juive en face des noms de 14 acteurs juifs du théâtre. Ces étoiles ont été placées selon des indications précises fournies de Teplitz, peut-être par Hurrle lui-même, mais peut-être aussi par l’accessoiriste du théâtre, Rudolf Bachsta, qui se révéla plus tard être un informateur nazi.
En tout cas, interpellé par le consulat de Reichenberg sur le nombre de juifs, Hurrle, dans une lettre du 3 septembre au consul Liebau, assura que ce nombre était « seulement de 12 sur 47 » et surtout soutint que « il est impossible d’exclure complètement les employés non aryens car le théâtre de Teplitz dépend de la fréquentation du public juif, qui forme plus de la moitié des spectateurs du Kammerspiel ».
Cependant le double jeu de Curth Hurrle ne fait pas de doute. Il est prouvé, par les mêmes archives explorées par Hansjörg Schneider, qu’il participa à Dresde, le 7 novembre 1936, à une réunion avec les représentants du ministère de la propagande de Goebbels, une délégation du SdP, les délégués de l’ambassade d’Allemagne à Prague et des consulats de Reichenberg et d’Eger, ainsi que le comédien Louis Oswald de Vratislav et le directeur de théâtre Walter Heidrich. Cette réunion, consacrée aux théâtres des « Sudètes allemandes », avait pour but de coordonner l’action des uns et des autres contre « les Tchèques et les émigrants qui unissent leurs efforts pour détruire le vrai théâtre allemand. » Il fut décidé d’organiser un boycott « sans réserve » des théâtres « non allemands » (c’est-à-dire dirigés par des juifs), à commencer par le théâtre de Reichenberg dirigé par Paul Barnay. Si ce boycott, dont l’organisation devait être faite par le SdP, réussissait, il serait impossible « à l’Etat tchèque et aux capitaux juifs » de soutenir les théâtres en question et les municipalités seraient contraintes de se tourner vers le SdP. [2]
La troupe, à Teplitz-Schönau, était loin de se douter de ces étranges tractations. La saison 1936-37 débuta par le grand succès public de la représentation de Peer Gynt, d’ Ibsen, avec Jack Mylong-Münz dans le rôle titre, dans la mise en scène de Fritz Kennemann, lequel accédait, selon la presse de Teplitz, au statut de « protecteur artistique de la scène » et, dans le contexte de montée des périls de l’époque, l’ambiance au théâtre était celle d’une chaleureuse solidarité, dans laquelle Curth Hurrle, d’ailleurs, semblait comme un poisson dans l’eau. Le répertoire gardait le même équilibre que l’année précédente, loin du soi-disant Kulturtheater souhaité par le SdP. Après Peer Gynt, on joua Fiesco et Kabale und Liebe de Schiller, Une femme sans importance de Wilde, Flucht de Galsworthy, mais aussi des comédies de Werner et des opérettes telles que « Rossini à Naples » de Adler/ Paumgartner. Le 6 mars 1937, dans la grande salle du théâtre on organisa une cérémonie à la mémoire du président-libérateur Masaryk, destinée à financer un monument municipal au président décédé. Liselott Reger dit le poème « Masaryk » de Josef Hofbauer, l’orchestre joua l’ouverture d’ « Egmont » de Beethoven, suivi du concerto pour violoncelle de Dvorak puis de deux duo de Gluck extraits d’ « Orphée et Eurydice » et on termina, très symboliquement, par le poème symphonique « Vysehrad » de Smetana.
Pour la saison 1937-1938, la dernière de la Teplitz tchèque, deux nouveaux réfugiés furent inclus dans la troupe (tous deux étaient d’ailleurs déjà montés sur scène avant l’été) : Ernst Wurmser, qui avait travaillé avec Reinhard à Berlin et Paul Demel (qui était Autrichien). Egalement nouvelle : Martha Hartmann. Au programme : Les soutiens de la société de Ibsen, Götz von Berlichigen de Goethe, Firma de Marjan Hemar, Das Nest d’Edmond Konrad, Die Ratten de Hauptmann, des comédies de Skutetzky et d’Hermann Bahr… et pour l’opérette toujours du Lehar (La veuve joyeuse, Giuditta) du Johann Strauss (Das Spitzentuch der Königin, Eine Nacht in Venedig) et aussi Josef Beer, Leon Teffel, Tara Benes, Boris Grahms etc… Les opéras (Cavalliera rusticana, Bajazet, Rigoletto) furent donnés par des troupes invitées.
10 Le théâtre de Teplitz sous domination nazie (1938-1944)
Après la mort soudaine de Fritz Kennemann (d’une crise cardiaque le 4 février), la saison s’acheva dans une tension rapidement croissante qui culminera en été ; Liselotte Reger joua dans la comédie Etienne de Jacques Deval, puis dans Der Teufelsschüler de Shaw, avec Jack Mylong-Münz, Paul Demel, Martha Hartmann, Irene Hampl, Otto Marx, Viktor Saxl, Leo Maly, Alfred Kühne, Rudi Wiechel et Ernst Wurmser qui fit la mise en scène.
On donna Le pays du sourire de Lehar et Carnaval à Rome de Johan Strauss. La fin de l’été vit le départ pour Prague des réfugiés et de quelques autres. Et l’arrivée des troupes hitlériennes révéla l’autre visage de Curth Hurrle, qui s’avéra bien en cour, du moins dans un premier temps, auprès des nouveaux maîtres, récupérant provisoirement la gestion des divers théâtres dont les directeurs, comme Paul Barnay, durent s’enfuir.
Le répertoire des saisons suivantes, avec une troupe profondément renouvelée sous la direction de Curth Hurrle, puis totalement nouvelle sous celle de Franz Stoss, égrena, parmi beaucoup de classiques, les oeuvrettes souvent pitoyables des dramaturges nazis. Un manuscrit de Paul-Walter Jacob, retrouvé dans ses archives à Hambourg et publié par le Professeur Frithjof Trapp en 2005, permet de se faire une idée de l’opinion de cet exilé sur le comportement de Curth Hurrle à partir de septembre 1938. Le texte (cliquer pour l’afficher) est daté de janvier 1939. L’auteur, qui venait d’arriver en Argentine, avait encore des nouvelles fraîches de ce qui se passait dans les Sudètes :
Ainsi Reichenberg, Karlsbad, puis même durant quelques mois le Kammerspiel du Deutsches Theater à Prague (après l’invasion de la Bohème en mars 1939) furent dirigés par Hurrle.
Cependant les atermoiements de Curth Hurrle cessèrent assez rapidement d’être du goût des nouveaux maîtres (comme d’ailleurs les hommes de Konrad Heinlein, vite tombés en disgrâce à Berlin). Dès 1939, il ne garda que la direction du théâtre de Teplitz-Schönau et en été 1940, il fut, contre son gré semble-t-il, envoyé diriger le théâtre de Neisse, en Silésie. De 1938 à 1940, sa troupe à Teplitz ne conserva que trois acteurs de la troupe précédente (Rolf Schneider, Leo Maly et, grâce à une « autorisation spéciale » s’agissant d’un « demi-juif », Ernst Wagner), ainsi que trois actrices (Grete Elb, Leonie Dielmann et Martha Hartmann), tous les autres avaient quitté Teplitz avant l’annexion au Reich.
En été 1940, Hurrle fut remplacé au Stadttheater de Teplitz-Schönau par Franz Stoss, directeur jusqu’en 1943, lui même remplacé pour 1943-44 par l’acteur Jochen Hauer. La troupe, cette fois entièrement renouvelée, resta presque inchangée durant toutes les années de guerre, avec chez les acteurs Wolfgang Dörich, Ludwig Blaha, Richard Feist, Edgar Fuchs, Richard Eggarter (jusqu’en 43), Franz Wettig, Carl Grytzmann, Maria Manz et Silva Medwed (jusqu’en 43) et comme chanteurs Heinz Asper (à partir de 41), Willy Bodenstein, Hans Dafert (41-44), Richard Geuther (41-44), Melanie Geissler, Gertie Sitte (toutes deux de 41 à 43), Elisabeth Wende et Hedy Rapp (41-44). Dans le cadre de la « guerre totale », tous les théâtres du Reich fermèrent définitivement leurs portes en novembre 1944.
Durant ce temps, bon nombre des membres de la troupe du temps de la démocratie suivaient les chemins de l’exil: certains, en France ou aux Pays-Bas, furent rattrapés par les conquêtes nazies et connurent la clandestinité, la déportation ou la mort, d’autres restèrent jusqu’en 1945 (et parfois après) en Grande-Bretagne ou en Suisse, d’autres encore, plus nombreux, partirent outre mer aux USA, en Amérique Latine ou jusqu’à Shanghai. Si certains réussirent à poursuivre là leur carrière, beaucoup durent y renoncer pour toujours. Beaucoup de ces réfugiés fuyaient les persécutions antisémites mais nombreux également étaient les exilés opposants politique. Nous n’entendons pas ici faire des « listes » distinctes (Voir ICI le détail des itinéraires).
11 L’après-guerre
Juste après la fin de la guerre, le théâtre germanophone de Teplitz eut encore quelques sursauts. Il rouvrit ses portes en juin 1945, sous administration tchèque, par une représentation de La Fiancée vendue de Smetana. Puis, après l’expulsion quasi-complète des germanophones des Sudètes, le théâtre, désormais uniquement slavophone, vécut au ralenti encore quelques années sous le nom de « Théâtre des frères Capek », donnant des représentations deux fois par semaine (devant un public bientôt largement composé de cadres du parti communiste). Le café fut laissé à l’abandon. Sous l’impulsion de Frantisek Popp (fils d’un père allemand des Sudètes et d’une mère tchèque), furent données jusque dans les années 60 des opérettes d’un bon niveau. Ensuite la troupe locale fut dissoute et, dès la fin des années 60, les locaux, qui se dégradaient, ne furent plus utilisés que pour des représentations invitées. En 1990, le bâtiment cessa d’être municipal pour devenir la propriété du District de Teplice et s’appela désormais Krusnohorské divadlo (Erzgebirgisches Theater). Conscient de la valeur historique et artistique du bâtiment, le District engagea de très considérables travaux de rénovation de 1994 à 1999, réhabilitant l’édifice, fermé durant cette période, tout en préservant le magnifique décor intérieur dans le style des années vingt. La brasserie et le café situés dans l’édifice sont de nouveau actifs. La grande salle est de nouveau fonctionnelle pour le théâtre ou l’opéra et la petite salle, l’ancienne salle du Kammerspiel, vidée de ses fauteuils, est utilisée pour les cérémonies ou consacrée à la danse. La gestion du théâtre, qui reçoit des spectacles invités, est assurée à présent par la Maison de la Culture, dirigée par M.Premysl Šoba et installée à proximité, dans un bâtiment d’architecture contemporaine (datant de 1986), sur les vastes terrains dégagés par la démolition de la vielle ville à l’est de l’ancienne Langegaβe.