Témoignage : Ernst Bechert sur l’économie du théâtre
Témoignage : Ernst Bechert, conseiller municipal :
Théâtre, station thermale et économie.
Depuis l’ouverture du nouveau théâtre, il s’est écoulé cinq ans. L’occasion m’est donnée de publier une réflexion sur l’origine et les conséquences de cet évènement.
L’incendie du théâtre ouvert en 1874 (le théâtre du château –Schlosstheater– qui l’a précédé reste intact encore aujourd’hui, du fait très méritoire de son propriétaire), il y a maintenant 10 ans, m’apparaît rétrospectivement comme le symbole rougeoyant des catastrophes qui touchèrent notre ville en ces temps-là.
Ce malheureux incendie, dont se rendit coupable, comme on le sait depuis peu, un innocent écervelé, ne fut que l’une de ces catastrophes. Le malheur, bien plus grand, de la perte de la direction du chemin de fer Aussig-Teplitz survint aussi à cette période. Le malheur lié à la guerre, portant la misère et le dénuement dans de larges milieux, avec ses conséquences épouvantables pour des centaines de milliers de gens est sous tous rapports plus tragique que l’incendie du théâtre et ses conséquences. Tout cela ensemble montre bien, donne bien l’image de l’ambiance déprimée, oui désespérée, qui pesait à cette époque sur presque toute la population, particulièrement dans notre ville, et dont aujourd’hui encore les effets ne semblent pas dépassés.
La reconstruction du théâtre était une nécessité unanimement ressentie. Même les pires pessimistes en ont convenu. Mais bien sûr les avis étaient très variés sur la voie à suivre. Finalement, cependant, l’idée de résoudre la question en voyant large s’imposa, comme en atteste aujourd’hui ce Neues Stadttheater, et l’édifice complexe, combinant diverses fonctions, vit le jour.
Et c’était bien ainsi. L’énergie, le courage et la persévérance de ces hommes qui dans l’entourage du maire, Dr. Ernst Walter, menèrent à bien ce difficile ouvrage, méritent la reconnaissance de la population.
La véhémente critique survenue avant, pendant et après la construction n’y change rien. On reprocha des fautes aux initiateurs et aux constructeurs, notamment dans les premiers temps, et on fit des reproches contradictoires. Sûrement aussi, en partie au moins, à bon escient. Mais les fautes apparentes qui sont faites lors de l’édification de ce type de bâtiments tiennent très souvent à l’évitement d’autres fautes, parfois beaucoup plus graves. Que des fautes soient inévitables, le fait que les critiques ne manquent pratiquement pour aucune construction de ce type en témoigne, de même que le suicide d’architectes de grands théâtres et oeuvres du même genre après leur achèvement, par désespoir devant des défauts réels ou seulement supposés.
En fait, les rares défauts qui demeurent en notre théâtre ne sont pas irréparables. Je suis d’avis que, si la situation financière actuellement favorable de notre ville le permet, on remédie à l’un ou l’autre des inconvénients. Ainsi la joie pour le magnifique bâtiment sera complète et ce sera aussi un stimulant pour la fréquentation du théâtre.
Que nous puissions parler à bon droit d’une situation financière favorable de la ville signifie surtout que ceux de nos concitoyens qui faisaient de sombres pronostics n’avaient pas raison. Ont eu raison, ceux qui faisaient confiance aux propres forces de notre communauté et je ne veux ni tomber dans l’ivresse de l’autosatisfaction, ni verser dans l’immodestie si je renvoies aux vues en ce sens que j’exposai dans un article pour le nouvel an 1925 de la « Teplitzer Zeitung« .
Certes, la très rapide amélioration des finances communales est à mettre au crédit de l’énergique politique d’assainissement du maire Julius Hirsch. Mais il ne pourra guère être contesté que le théâtre et les entreprises qui y sont liées ont leur part dans cette évolution favorable.
Déjà, le fait que des communes de toutes catégories essaient par tous moyens d’attirer des étrangers, d’augmenter le tourisme, bien sûr dans le but de procurer des revenus à la population autochtone, atteste qu’il s’agit là d’une source de revenus importante. Notre théâtre a exercé, dès le jour de son ouverture, sa force d’attraction sur le public local et surtout sur le public extérieur. Une source intarissable de revenus pour notre ville.
Certes, le choix des premiers directeurs du théâtre (NDT: Franz Höllering et Nikolaus Janowsky) ne fut pas heureux. Le théâtre était bien d’un haut niveau artistique, mais la gestion financière des dirigeants ruineuse. Le second directeur, déjà, s’avéra un très bon choix. Sous la conduite du directeur Karl Ettinger, non seulement les réalisations artistiques sont d’un haut niveau, mais il sait aussi gérer. Il représente une heureuse synthèse des compétences artistiques et financières. La fondation de l’Association du Théâtre était une excellente idée, le difficile travail de constitution d’un stock d’abonnés a réussi et il existe un espoir fondé que cette situation artistique et matérielle très satisfaisante puisse durer.
Ces circonstances contribuent certainement substantiellement à l’augmentation du tourisme, qui est aussi favorisé par les entreprises liées au théâtre.
C’est le cas avant tout du Theater-Café avec sa magnifique terrasse.
Nous, autochtones, pour qui ce spectacle est devenu habituel, ne sommes pas capables d’imaginer l’impression que produit le Theater-Café sur les étrangers. Il y en a qui, rien que pour ça, viennent volontiers chez nous, et même suivre une cure sans en avoir un besoin urgent. Nous avons, en Bohème, pas mal de villes qui dépassent la notre en nombre d’habitants, mais aucune n’est si volontiers visitée par les étrangers que notre Teplitz-Schönau, justement parce qu’aucune de ces villes plus grandes n’a le charme, peut-être aussi les impondérables, de notre ville thermale.
Tout supporter de la ville doit ressentir une joie particulière, de voir cette foule qui emplit les rues principales, surtout le dimanche et les jours fériés, ou bien le nombre impressionnant de voitures de toutes sortes qui prennent place, et pas seulement dimanche et jours fériés, devant le Stadttheater et aux alentours. C’est l’effet du théâtre, du cinéma et du café, dont les répercussions financières sur la vie économique de notre cité sont tout à fait inestimables.
On ne peut passer sous silence qu’un manque, en un seul endroit, se fasse douloureusement sentir. C’est le Passage, gravement négligé, d’aspect désagréable, qui suscitait pourtant avant la construction de grandes espérances – qui auraient été faciles à réaliser.
Lors d’une assemblée largement représentative – la seule de la sorte, qui ait été réunie avant la construction du théâtre pour susciter l’intérêt des cercles les plus larges pour cette réalisation -la suggestion fut faite, et très bien accueillie, de mettre des magasins dans le Passage. Cela n’arriva pas, soi-disant parce qu’ils ne voulurent pas s’y installer. En tout cas, il est très dommage que cette importante source de revenus n’ait pas été également réalisée. Elle aurait pu l’être sans aucune difficulté mais l’occasion a été perdue, sans cause majeure. La proposition a été faite, du côté des experts, d’aménager des vitrines dans ce Passage. Le plan existait, les intéressés furent contactés, le bénéfice important pour la bourse municipale était à portée par un simple accord. La proposition fut repoussée. Pourquoi ? Je ne sais pas ! « Chalchas, sais-tu donc pourquoi ? » L’argent ne rentre pas dans la caisse municipale, mais le Passage ne présente pas une image esthétiquement satisfaisante, bien au contraire.
C’est une curieuse situation, mais si l’on considère l’ensemble, pas d’une importance décisive.
Ce qui est décisif, c’est le fait que notre théâtre, si dénigré au départ pour sa polyvalence, constitue maintenant l’un des principaux facteurs de la vie économique de notre ville. Il représente des recettes qui ne viennent pas, comme les contributions ou impôts, des poches de nos habitants, mais en proportion significative d’une prestation volontaire en espèces de la part d’étrangers, qui y consentent volontiers parce qu’on leur offre ce qu’ils ne peuvent guère goûter dans une autre ville provinciale de la République.
Il est sûr que cet effet va encore s’accroître dans l’avenir. La force d’attraction de notre ville se manifeste par un afflux très varié, particulièrement de retraités, individus et familles qui se retirent dans la vie privée et qui choisissent Teplitz-Schönau parce qu’elle offre des agréments de qualité spéciale, et parmi ceux-là en premier lieu le théâtre.
Ne pas affaiblir cette indiscutable attractivité, mais l’accroître par des aménagements adéquats est un devoir important de l’administration de notre ville. Que celle-ci aient des devoirs particuliers vis à vis du théâtre, que ce dernier doive être choyé et soigné à la mesure de son importance, personne ne le contestera. Que dans la situation présente, il ne faille pas et qu’on n’aie pas le droit de brusquer les choses ne sera pas d’avantage mis en doute. Alors cette maison, avec toutes ses installations, édifiée en des temps difficiles et au prix de lourds sacrifices, ne manquera pas d’être toujours plus et dans une mesure croissante une source de prospérité pour notre ville.