10-12-1927 : Franz Wedekind, Lulu
Samedi 10 décembre 1927
Première de Die Büchse der Pandora, de Frank Wedekind
La boite de Pandore (sous-titrée : une tragédie-monstre) fut écrite en 1894 par Frank Wedekind, grand pourfendeur de l’hypocrisie bourgeoise et briseur de tabous sexuels. La pièce, exhibant les réalités sordides de l’inceste, de la prostitution et de la pédophilie fut interdite en Allemagne où elle ne put être ni éditée, ni jouée du vivant de l’auteur (mort en 1918). Elle ressurgit avec succès sous la république de Weimar, jusqu’à ce qu’Alban Berg en tire l’argument de son opéra Lulu, composé à partir de 1929 (mais créé seulement en 1937 à Zürich).
C’est donc précédée d’un parfum de scandale que la pièce, en trois actes, fut montée au théâtre de Teplitz, sous la direction de Karl Ettinger, dans une mise en scène de Viktor Flamm-Geldern. La première eut lieu le samedi 10 décembre 1927 dans la petite salle. Un entracte eut lieu à la fin du second acte et la représentation, commencée à 20 heures, s’acheva vers 22h30. La distribution réunissait Else Paly en Lulu, Lo Bertram en comtesse Geschwitz, Willi Frank en Alwa Schön, Viktor Flamm-Geldern en Schigolch, Willi Kühn en Kungu Poti et Karl Ranninger en Jack le violeur.
Mais qui est donc cette Lulu ? Jadis petite fille prostituée, battue, violée par son père et tirée du ruisseau par un riche pédophile, elle est devenue une dangereuse créature de rêve collectionnant maris, amants et meurtres dans une société impitoyable où le sexe et l’argent mènent la danse. Mais n’est-elle pas aussi une femme libre, irréductible, âme rebelle dans un corps docile, avide de toutes les expériences, assoiffée d’affection, se métamorphosant à l’infini ?
L’émoi que suscita la pièce à Teplitz-Schönau est bien perceptible dans la critique parue le 12 décembre dans le Teplitz-Schönauer Anzeiger: « Victor Flamm-Geldern s’est approprié cette tragédie avec une ardeur affectueuse et a fournit en conséquence un travail considérable. (…) Else Pally, en Lulu, a encore surpassé la noblesse de son Effie et le tragique de sa Klara [NB Effie dans Schloss Wetterstein et Klara dans Musik, deux pièces de Wedekind déjà données à Teplitz]. Elle accompagne encore ici au succès les personnages à problèmes de Wedekind. Elle n’éveille pas seulement l’aversion mais sa respiration même attire notre pitié. La démoniaque, perverse, lubrique et pourtant faible femme est vraiment parfaitement incarnée. A ses côtés, il y a pour les rôles féminins encore une figure qui, par une composition virtuose, entre dans la sphère de notre pitié. C’est la pauvre nature androgyne de la comtesse Geschwitz que Lo Bertram a su rentre magistralement. Le parlé, le style, l’expression et le jeu mesuré ont constitué une brillante prestation. La plus grande efficacité fut celle des répugnantes scènes de prostitués de la ronde érotique du dernier acte, où Willi Frank en muet, Willi Kühn en prince nègre, Flamm Geldern lui-même en Schilgolch et Karl Ranninger en violeur font preuve d’un terrible réalisme en scène.
La scène finale a écrasé tout le reste et la foule qui sortait de la salle comble était sous le choc de la représentation qui, de l’avis général, venait au nombre des meilleurs qu’on ait vu ici, notamment pour les prestations individuelles, quand bien même pas la plus édifiante. »
La pièce de Wedekind fut reprise encore quatre fois au Neues Stadttheater jusqu’à la fin décembre puis quitta définitivement le répertoire. Toutefois sa pièce Erdgeist, première partie de la même saga de Lulu, fut donnée à Teplitz dans une mise en scène de Fritz Kennemann en décembre 1928.