Liselott Reger
L’Oeuf de Nuremberg de Walter Harlan
pour la première représentation
C’est, malgré la fin tragique, en un monde singulièrement clair, lumineux que nous conduit Walter Harlan avec sa pièce sur l’horloger de Nuremberg Peter Henlein, qui donne à l’humanité l’importante invention de « l’oeuf de Nuremberg« , à savoir la montre gousset, et considère que donner sa vie n’est pas trop cher payé pour son oeuvre. C’est le monde bourgeois allemand d’une ville florissante, emplie d’une certaine quiétude, de sécurité et d’humour – le monde du maître Hans Sachs et d’Albrecht Dürer. Ce bien-être ne s’accompagne pas d’étroitesse et de repli, – non, les portes de l’atelier sont grandes ouvertes, comme le coeur et l’esprit du maître des lieux, aux courants de la vie nouvelle qui se fraient alors partout le passage. C’est l’époque où l’esprit humain se dégage d’une certaine torpeur du siècle passé, passe de la superstition médiévale et des ténèbres à la lumière de nouvelles connaissances et de nouvelles réalisations, – où dans toutes les régions, on se meut vers de nouvelles floraisons. – Le navigateur Martin Behaim, qui, avec ses audacieux voyages d’étude lointains se fait -et fait à la navigation allemande- une renommée aux côtés des héros des mers du Portugal et de l’Espagne; – le médecin intelligent, entreprenant, qui « a étudié à Padoue » et qui cherche de nouvelles voies, dans sa science encore jeune et bourgeonnante, pour aider l’humanité souffrante : ils se tiennent auprès du génial inventeur, Peter Henlein, homme sûr et clair, comme représentants de ce monde nouveau qui avance, auquel est opposé la figure singulièrement bizarre du Badermeister, prisonnier de toutes les chimères du Moyen Age, qui serait bien une sorte d’ « exorciste ».
Mais surtout (et c’est justement ça qui fait la valeur de la pièce pour les hommes d’aujourd’hui !), c’est un monde d’adhésion inconditionnelle à la vie, quelle qu’elle soit, en dépit de la mort et des larmes, et de l’adhésion à l’oeuvre. » C’est le véritable amour de Dieu, que nous puissions donner de l’aide au maître dans son atelier » dit Peter Henlein, – et sa profession de foi est presque la devise de toute la pièce. C’est merveilleux, comme la béatitude de la possibilité de créer porte cet homme et avec lui ceux qui l’entourent, – comme il rallie à son engagement, entre gravité et raillerie, sa soeur perdue dans une tristesse stérile et une réclusion de nonne : que chacun soit destiné, en ce monde, à porter des fruits, comme les sillons des champs ; c’est bouleversant et en même temps merveilleusement simple et beau, comme il assume tout naturellement le sacrifice de sa vie pour son oeuvre, quand le destin l’exige de lui, – comme, aussi, ce sacrifice ne peut assombrir un seul instant le bonheur du créateur. Le tragique de cette vie, si profond soit-il, est sans amertume, – le Leitmotif de cette oeuvre reste un oui inconditionnel à la vie, au-delà même de la mort.
« La mort est engloutie par la victoire! »
Etrangement, la pièce de Harlan est ici, à Teplitz, une nouveauté, alors qu’elle est allée jusqu’à présent sur plus de cent scènes de langue allemande avec grand succès. Le renommé critique et écrivain Julius Bab traite des mérites de l’oeuvre dans un paragraphe particulier de son livre « Wege zum Drama« , spécialement de son humanité chaude, positive et dénuée de sentimentalité.