Fritz Kennemann

Pour la première de Die andere Seite de R.C. Sherriffs

Une pièce de guerre (Kriegstück) ? Oui, dans la mesure où elle se passe pendant la guerre et que les évènements de ces trois actes se déroulent dans un abri sur le front. Et cependant, tout autre chose que de la littérature de guerre naturaliste. Cette oeuvre est un poème qui capte les plus simples et les plus véridiques dispositions de l’âme humaine. La trame, ce qui arrive à l’extérieur, ne reste qu’esquissé. Cette « pièce de guerre » est exempte de toute tendance, de tout chauvinisme ; elle est d’une émouvante objectivité. Cet « autre côté » (andere Seite) est chacun des côtés du front, pour les hommes respirant dans les abris. Si, contre le célèbre livre de Remarque « A l’ouest, rien de nouveau », il put être objecté de divers côtés que seule la jeune génération, et non pas tous, avait vécu la guerre ainsi, dans l’oeuvre de Sherriff cette ultime puissante vérité convainc pour quiconque a vécu quelque part sur le front de la guerre mondiale: c’était ainsi. Dans toute son horreur et toute sa grandeur. C’était ainsi. Au-dessus de toutes les qualités artistiques de cette oeuvre, il y a la maturité de cet écrivain, de pouvoir éclairer avec tant d’objectivité le sort de ces hommes, enfouis selon leur destin dans les profondeurs de la terre, où ils se referment et se blottissent aussi intérieurement et ne se laissent pas connaître les uns des autres. Voir les hommes humainement et les faire vivre devant nous avec l’évidence de la simplicité, voilà la force singulière de cet écrivain de « l’autre côté ». Le titre de la pièce n’est qu’un symbole pour comprendre : il n’y a parmi les hommes qu’un seul côté, un seul : l’humanité.

Un écrivain allemand, Carl Zuckmayer, a écrit, dans son « Nächten der Jugend« , des vers qui pourraient presque être une devise pour cette oeuvre de Sherriff :

Et des nuits d’éclats de ferraille, rouillée depuis longtemps,
Beaucoup de nuits de guerre en sentinelle, à cheval, dans la pluie et à la lueur des étoiles,
Elles nous auraient presque coûté la tête,
Car le seigneur se tenait des deux côtés du front, et l’homme se tenait seul.