Fritz Kennemann

Jugend de Max Halbe

A l’occasion de la nouvelle mise en scène de l’oeuvre

De nos jours, on est très vite prêt à prononcer, à propos d’oeuvres littéraires de notre jeunesse, comme hommes aujourd’hui d’âge mure -mais dieu merci pas encore des vieillards- le verdict fatal « poussiéreux ». Et beaucoup de purs « succès de scène » qui jadis régnaient sur le théâtre sont aujourd’hui réellement tout à fait poussiéreux, parce qu’ils n’ont jamais été autres que ce qu’ils furent le jour de leur création. Mais l’oeuvre d’un véritable poète ne se laisse pas si facilement enfouir jusqu’à l’oubli par la poussière des ans, ni par la propagation des ruines. Surtout quand ce poète et authentique dramaturge – et c’est le cas de Max Halbe, pour le moins dans son drame le plus fort « Jugend » – fut l’un de ceux, parmi les meilleurs et les plus sincères de leur temps, à avoir assailli les murs de l’inflexible tradition et des préjugés. Et l’on peut bien exercer, estimer ou aimer l’art dramatique d’aujourd’hui, comme il se manifeste dans les oeuvres les plus fortes et vivantes, et n’être pas pour autant ingrat ou indifférent à l’égard des poètes qui ont les premiers ouverts la voix à ce qui nous semble aujourd’hui beau et prometteur, par leur influence sur les esprits et les coeurs « d’autrefois ».

La pièce « Jugend » de Max Halbe eut, au temps de sa création, le prodigieux succès d’un haut fait littéraire « moderne », parce qu’elle renvoyait à une humanité jeune, nouvelle et sans préjugé, qui, heureusement, apparaît aujourd’hui déjà familière et naturelle à beaucoup – en fait à la plupart d’entre nous. Ce n’est donc plus cela qui serait susceptible de nous intéresser particulièrement aujourd’hui. Mais qu’a donc montré justement cette oeuvre-ci de Halbe, en étant toujours présente avec succès, jusqu’à nos jours, dans le répertoire des scènes allemandes, à côté des oeuvres les plus modernes (du reste justement cette année, de manière surprenante, souvent dans de grands théâtres) ? Cela ne peut s’expliquer, je pense, que par la singulière force littéraire intemporelle de ce drame. Nul doute que ce qu’a réussit ici Max Halbe, c’est la représentation pleine de vie de la jeunesse en soi, ses états d’âme, ses oscillations, les passions de jeunes coeurs, la jeunesse telle qu’elle est et sera de toute éternité, qui s’élance et souffre et aime.

Et ce qu’Halbe a également réussi, c’est d’échapper totalement dans cette pièce à tout présupposé crypto-idéologique. Il pose cinq être vivants sur la scène, de manière si différente et pourtant si spontanée, évidente, que leurs destins se nouent en drame avec un naturel comme on en voit peu dans une pièce de théâtre. Et si nous pouvions aussi imaginer aujourd’hui, selon nos idées et nos possibilités, une issue heureuse aux conflits entre les hommes, alors la manière dont Halbe conduit l’intrigue est quand même pour ses personnages d’une conséquence éloquente.

Une tranche de vie se déroule, vue et façonnée par un poète, qui devrait susciter l’intérêt au moins de ceux qui voient dans le théâtre plus une participation qu’une distraction.