08-10-1936 : Ibsen, Peer Gynt
Jeudi 8 octobre 1936
Première de Peer Gynt, d’Henrik Ibsen, musique d’Edvard Grieg
Spectacle d’ouverture du Neues Stadttheater pour la saison 1936-37, Peer Gynt est inspiré d’un conte populaire norvégien. Il fut donné à Teplitz dans la grande salle avec la musique de scène composée par Edvard Grieg. La mise en scène était de Fritz Kennemann et Herbert Weisskopf dirigeait l’orchestre.
Peer, au début de la pièce, apparait comme le fanfaron du conte. Mais lui passe aux actes. Il commence par enlever une jeune épouse le jour de ses noces, l’abandonne, retourne dans son village dans la montagne où sa mère, Aase, se désespère à son sujet. Ses pérégrinations l’entrainent par la suite dans une quête du sens de sa vie. Dans le monde des Trolls (figuration d’une humanité obnubilée par la jouissance immédiate), il apprend la devise : » sois toi-même ». C’est ce qu’il va tacher d’appliquer tout au long de la pièce. Après une fugitive rencontre avec Solvejg, jeune fille qui s’est éprise de lui et lui restera toujours fidèle, Peer assiste à la mort de Aase.
Dans une seconde époque, Peer se trouve en Afrique, en marchand d’esclave enrichi qui médite des projets grandioses. Mais ses richesses lui sont volées et il doit reprendre une vie vagabonde, devenant prophète dans une tribu sauvage où Anitra le dépouille encore, puis finalement empereur des fous dans un asile d’aliénés. Dans une dernière époque, Peer, devenu vieux, rencontre sur un bateau un étrange passager qui lui annonce sa mort et enfin un mystérieux « fondeur de boutons » envoyé de l’au-delà, chargé de refondre Peer car celui-ci n’est pas à proprement parler un pêcheur mais plutôt un raté, à refaire donc. Peer se défend, affirmant qu’il a toujours « été lui-même » et obtient un sursis. Mais, en fait, il a toujours vécu en Troll croyant vivre en homme. La pièce se termine sur une révélation: Solvejg, qui a vieilli en attendant Peer Gynt, le béni d’avoir fait de sa vie à elle un long chant d’amour. Peer Gynt découvre enfin qu’on est réellement ce qu’on est dans le regard d’autrui.
La pièce obtint à Teplitz un succès retentissant, dont Ernst Thöner rend ainsi compte dans Freiheit : » … Le monde de la poésie pouvait se révéler dans toute sa beauté et grandeur et il faut en premier lieu rendre grâce à Fritz Kennemann, comme créateur et comme protecteur artistique de ce grand théâtre, pour la préparation d’une représentation hors pair. Il ne faut pas négliger (…) la part des décors magistralement composés à partir du poème, visions oniriques que le Dr. Arno Bosselt supervise avec un profond sens artistique et que Richard Zikesch mue en matériel de scène apte aux changements rapides. En outre, l’éclairage, que Max König règle en un merveilleux jeu de couleurs, apporte une contribution précieuse. Dans ce qui a contribué au succès se distinguent aussi Herbert Weiskopf comme chef d’orchestre et Mizzi Popp comme chorégraphe (…) qui doivent être remerciés selon leurs mérites. »
Le critique souligne ensuite la performance de l’acteur tenant le rôle écrasant de Peer Gynt, en scène durant presque toute la pièce: « Et maintenant, au jeu ! Nous avons un Peer Gynt ! Quel théâtre peut en dire autant ? Jack Mylong-Münz a au coeur et à l’âme la gaité insouciante avec laquelle ce poète des montagnes conçoit et mène sa vie. Un vrai gaillard – un vrai enfant (…) A ce haut fait, issu d’un travail infatigable, la pleine reconnaissance du public n’a pas manquée. Le metteur en scène, les comédiens, le chef d’orchestre et le directeur (NB il s’agit de Curth Hurrle) furent rappelés d’innombrables fois devant le rideau avec des acclamations enthousiastes. Ainsi « Peer Gynt » fut le début proprement festif de la nouvelle saison et la représentation a déjà donné un acquis inoubliable à la vie intellectuelle de la ville. »
La distribution, pour cette soirée mémorable, était la suivante: Jack Mylong-Münz était Peer Gynt, Grete Baeck était Aase (tous deux réfugiés juifs à Teplitz), Editha Hille était Solvejg, Christl Raenz était Anitra, Henni Minersky était Ingrid, Tony Eydt était la femme en vert, Viktor Saxl était le docteur Begriffenfeld, Ersnt Wagner était la personne maigre, Friedrich Kühne était le mouleur de boutons, Otto Marx était l’étrange passager, Alfred Kühne était le roi des Trolls…